Dans un
précédent article, nous avions vu comment préparer le
playtest de son jdr. Dans celui-ci, nous allons mettre fin à la
procrastination et passer au vrai développement de son jdr : à la phase
de rédaction.
Rappelons-nous, nous avions vu que pour le playtest, pour être à
l’aise pour maitriser, en disposant de peu de temps devant soi, il
fallait concevoir d’abord le scénario et les personnages, puis le
système de jeu, et enfin, en dernier, l’univers. Pour l’écriture de son
jdr, nous allons modifier cet ordre et introduire une notion essentielle
souvent incomprise : le concept.
Ce que suit n’est bien sûr que le point de vue de son auteur…
Définition du Concept
On peut trouver sur le Net de nombreuses questions auxquelles
répondre (les power19 par exemple) pour initier le développement de son
jeu. Certes. Mais il est rare de pouvoir efficacement y répondre car
chaque jeu a sa propre philosophie et ces questions risquent souvent de
ne pas cadrer, offrant au mieux des réponses maladroites. En réalité,
leur but est de vous faire réfléchir sur votre jeu au lieu de vous
lancer tout feu tout flamme à rédiger tout et n’importe quoi.
A mon sens, le plus simple, le plus efficace, est de vous poser
devant une feuille (ou un document word) et de vous demander quel est le
concept de votre jeu.
Problème : qu’est-ce que le « concept » ? Si on voulait reformuler ce
terme, on pourrait parler de ce qui fait sens, de l’angle d’approche de
votre jeu, ou, si vous préférez, quelles sont les questions que votre
jeu posent et quelles sont les réponses qui vous être données en jeu.
Avec le concept, on est bien plus dans le cœur du jeu, dans le fond que
dans la forme.
Mais tout ça ne nous éclaire pas vraiment, n’est-ce pas ? Aussi, prenons quelques exemples.
Par exemple, dans
Donjons & Dragons, le concept est très
simple (mais brillant) : il s’agit schématiquement de jouer des
aventuriers qui affrontent des monstres et pillent des trésors.
Ce n’est toutefois pas aussi simple que de répondre à « qu’est-ce
qu’on joue ? », il faut tendre vers le conceptuel. Autre exemple pour
illustrer ce point : dans
Dogs in the Vineyard, on incarne des
pseudo-Mormons qui luttent contre le Mal dans l’Ouest américain, certes,
mais l’idée est surtout de centrer le récit sur les impacts des
personnages au sein d’une petite communauté, les sacrifices que cela
engendre, et le positionnement quant au diction « la fin justifie les
moyens ». Cette étape vire donc souvent au philosophique, même si le but
est d’y répondre par un jeu et pas par une dissertation.
Définir le concept est d’autant plus important que c’est ce point qui servira de base au
pitch,
et donc d’argument de vente pour convaincre éditeur et public de
joueurs. Identifier un concept qui n’est pas représenté et qui pourtant
incarnerait une forte demande des joueurs correspond clairement à un
point fort dans une lettre d’intention à un éditeur.
Mécaniques de jeu et système
Une fois que vous aurez fait ressortir le ou les concepts de votre
jeu, vous pourrez en extraire les mécaniques de jeu importantes. A ce
stade, une mécanique de jeu n’est pas le système. Vous n’allez pas
détailler comment vous allez résoudre les actions des personnages, vous
n’allez pas détailler chaque caractéristique des personnages, vous ne
vous intéressez probablement pas au type de dé que vous allez lancer, si
vous en lancez. A moins que cela ne soit intrinsèquement important dans
votre jeu. Non, vous allez réfléchir, au vu du concept, aux éléments
qui doivent être pris en compte par le système.
Si je reprends l’exemple de
Donjons & Dragons, dans mon
concept d’exploration et de pillage d’un donjon par des aventuriers,
j’aurais sans doute besoin d’une mécanique concernant l’exploration et
d’une autre pour gérer l’acquisition des trésors (ce qui est exactement
ce que le
Donjon de Clinton R. Nixon fait). Cela sera
clairement la base du système de jeu qu’il faudra développer, les points
forts qui vont démarquer le jeu d’un autre, autant de forces à mettre
en avant auprès d’un éditeur ou du public.
Bien sûr, il s’agit d’une approche très «
system does matter
». Bien sûr, cela ne doit pas correspondre à la manière dont vous
procédez. Je ne vais pas vous mentir, elle ne correspondait pas à ma
façon de faire
avant, à moi non plus. Mais réfléchissez
quelques instants, réfléchissez à la manière dont vous procédez. Je suis
prêt à parier que vous écrivez d’abord des bouts d’univers, que vous en
agrégez d’autres au fur et à mesure des nouvelles inspirations ;
peut-être même que vous êtes parti d’une nouvelle d’ambiance ; avec un
peu de maturité quant à la conception de jdr, vous développez
probablement le système de jeu pour qu’il intègre l’univers, que
l’ensemble ne soit pas totalement décorrélé. Et à ce stade, vous devez
avoir de grandes peines à écrire des scénarios qui ne soient pas
linéaires ou à regrouper les personnages des joueurs autrement
qu’artificiellement. N’est-ce pas ?
Peut-être que le problème provient du fait que vous écrivez un jeu de
rôle comme si vous écriviez un roman… Petit conseil au passage : si
vous voulez écrire des romans, alors écrivez des romans ; mais si vous
voulez créer un jeu de rôle, comprenez bien qu’il s’agit avant tout d’un
jeu, et que ça n’a rien à voir avec les règles qui régissent la
littérature et plus particulièrement l’écriture d’un roman. Dans un jdr,
vous vous démarquerez principalement par les aspects ludiques de votre
jeu, pas par votre style.
Contexte
Le contexte (l’univers) constitue le piège principal pour les auteurs
de jdr qui sont souvent des auteurs de SF/fantasy frustrés. C’est là,
pensent-ils, que leurs jeux va innover en reprenant des idées issues
d’inspirations diverses ou en retranscrivant un genre de jeu dans une
période ou une culture différente.
Prenez une grande respiration car la suite ne va pas vous plaire.
Entre nous, franchement, est-ce que vos idées sont si bonnes que ça ?
Tant mieux si votre réponse est un beau et franc « oui » ; vous avez une
grande confiance en vous. Ne reste plus qu’à espérer que ce ne soit pas
de l’aveuglement…
Maintenant, entre nous, franchement, vos idées sont-elles meilleures
que celles que vont avoir les joueurs autour de la table ? Vont-elles
avoir plus de sens à leurs yeux que leurs propres idées qui pourraient
émerger d’un jeu dont ils écriraient en partie le contexte ? Vont-elles
être plus en rapport avec leurs personnages et plus généralement avec ce
qu’ils ont envie de jouer ? Si vous répondez également oui, là, désolé,
vous vous leurrez avec de très grandes probabilités.
Bien sûr, vous avez quand même une partie du travail à accomplir :
vous allez tracer un cadre sur lequel vont broder les joueurs, vous
n’allez pas les laisser sans le moindre univers. Mais restez-en aux
grandes lignes. Que les détails soient pourvus par les joueurs. En
clair, offrez votre contexte aux joueurs, afin qu’il devienne le leur.
Ne les étouffez pas avec des grands secrets que vous auriez imaginés, au
sein d’un monde que seuls de puissants PNJ contrôlent. Vous avez dit
« Vampire » ? Évidemment, les jeux White Wolf ont eu une énorme
influence sur les auteurs (amateurs) de jdr, pas étonnant que les
défauts de ces jeux se retrouvent dans nombre de créations.
Scénario
L’autre grand souci de cette vision du jeu de rôle conçu comme un
roman, c’est qu’il est très difficile de constituer un groupe et même de
composer autre chose que des histoires linéaires. On n’hésite plus bien
sûr à offrir un semblant d’illusion pour masquer la linéarité, à
prévoir des alternatives, des « si » et des « ou ». Tout ça n’est
qu’illusion : il est impossible de prévoir ce que des joueurs vont faire
puisqu’on ne sait même pas à l’avance quels personnages ils vont
inventer ni même en réalité ce qui va les intéresser et les attirer dans
votre jeu.
Alors peut-être faudrait-il surtout insister sur les enjeux qui ont
lieu au sein de votre univers ? Quels sont les conflits ? Quels sont les
antagonistes ? Comment les personnages vont-ils marquer cet univers ? A
nouveau, les détails seront inventés au fur et à mesure par les joueurs
et le MJ ; le mieux est de leur proposer des modules ou des pans
d’histoire qu’ils pourront intégrer à leurs sessions de jeu ou desquels
ils pourront s’inspirer. Par exemple, offrir de nombreuses pistes de
composition de groupe, avec des archétypes de personnage, et s’attarder
sur les grandes lignes que la narration pourrait exploiter, les enjeux
typiques, voilà qui est plus porteur que d’écrire un scénario de A à Z
qui, traditionnellement, ne convient jamais aux joueurs.
Surtout, en vous demandant quoi faire jouer aux personnages, vous
allez répondre à cette question principale : quel type de personnages
vont jouer les joueurs ? et quels vont être le ou les buts des
personnages ? Si vous ne parvenez pas à y répondre, c’est que vous
n’avez pas créé un jeu, mais que vous êtes en train de rédiger un roman
ou un cadre purement stérile.
Conclusion
Une fois que vous aurez atteint l’étape du contexte et que vous
l’aurez développé, vous pourrez alors passer à la phase des agréments, à
savoir : les textes, les illustrations et la maquette. Ces aspects ne
sont pas le cœur du jeu et ne sont pas importants à ce stade
préparatoire. Dites-vous bien que, si vous partez dans la rédaction des
textes alors que le concept n’est pas encore défini, et que le contexte
peut évoluer, vous avez de grandes chances de devoir tout défaire et
refaire. Et, outre que c’est une mauvaise méthode de travail, c’est
également néfaste pour le moral et propice à vous faire tomber dans la
procrastination. Prenez le temps de valider chaque étape avant de vous
lancer dans l’étape subséquente, vous vous éviterez ainsi délais et
travail inutiles.
Bien sûr, le plus important est d’être à l’aise dans la création de
son jdr. Si vous préférez votre manière à celle présentée ici, tant
mieux, continuez ! L’important est d’avancer et votre méthode fonctionne
sans doute très bien ; après tout, il ne doit pas y avoir une seule et
unique façon de créer un jdr.
J’espère simplement que cet article vous aura amené à vous questionner sur votre
modus operandi
d’auteur, une vertu essentielle dans notre hobby, et peut-être à faire
naître une once de curiosité pour des pratiques un peu différentes,
voire à des courants de jdr différents de vos habitudes. Il n’y a rien
de pire qu’un auteur de jdr sans intérêt pour les créations des autres :
cela serait l’équivalent d’un scientifique ne souhaitant pas perdre de
temps avec les théorèmes des autres et préférant inventer « au
feeling ». Une catastrophe…